L’homme, ce bipède qui doit se remettre en marche


Ces 26 novembre et 4 janvier dernier, France Inter nous a offert deux magnifiques émissions sur la marche dans La Tête au carré. Si vous n’en écoutez qu’un, préférez le premier volet, qui est tout à fait passionnant, le second comportant de nombreuses redites.

 

Deux spécialistes de la marche passionnés à l’antenne de France Inter

Les deux invités de l’émission étaient le paléoanthropologue Pascal Picq et l’osthéopathe Jacques-Alain Lachant. Quel plaisir d’entendre ces deux experts passionnants et tout autant passionnés que nous !

Cette émission souligne que la bipédie n’est pas le propre de l’homme. Le mythe ancré dans la culture occidentale selon lequel l’homme s’est redressé dans la savane est aujourd’hui remis en question. Pour Pascal Picq, les hominoïdes sont descendus tout droit des arbres. Leur grande taille les a contraint à se suspendre aux branches, à se déplacer par brachiation et à adopter la verticalité. Il y a 3 millions d’années, l’australopithèque Lucy marchait -mais ne courrait pas. Les premiers hommes, il y a 2 millions d’années, marchaient et courraient. Selon Pascal Picq, les grands singes ont perdu leur aptitude à la marche quand les hommes, qui n’en avait pas l’exclusivité, l’ont développée. En outre, l’homme a une endurance exceptionnelle. Il est l´un des rares mammifères à chasser à vue et seul capable de courir sur des dizaines de kilomètres, chassant ainsi à l’épuisement.

 

La marche, un instinct qui se concrétise par le rapport social

Le fœtus se prépare biologiquement à marcher dans le ventre de sa mère. Il y fait des pas alternés, très bien coordonnés, avec ses bras et ses jambes. On n’est pas étonné de lire que Jaques-Alain Lachant qui embrasse l’extrait du documentaire Du baiser au bébé cité par La tête au carré est également haptonome. Selon lui, les sensations posturales in utero du bébé, la motricité du corps de ses parents, son désir mimétique et la mobilisation des ‘neurones miroirs’ conduisent le bébé à marcher. D’ailleurs, un enfant qui grandit avec des quadrupèdes marche à quatre pattes. Et nous adoptons sans nous en rendre compte la démarche de nos parents.

 

Le pied, cette extraordinaire mécanique

Nous sommes fascinés ici chez leguano par ce chef d’œuvre qu’est le pied et Pascal Picq le rappelle :

La mécanique articulaire du pied est un chef d’œuvre d’architecture absolument extraordinaire. »

Marche et pensée sont liées

Pascal Picq associe la bipédie en mouvement, c’est-à-dire la marche, à la pensée. Pieds et cerveau sont liés. Pivot de la marche, le cervelet, machinerie de 70 milliards de neurones, est également associé à la créativité, à la danse, à la pensée. La motricité en elle-même est une créativité. Son opinion est partagée par Jacques-Alain Lachant, qui considère le psychisme comme lié à la motricité humaine. Un homme qui marche bien a une pensée plus harmonieuse et plus créative que quelqu’un qui est sédentaire. Voilà qui nous rappelle la thérapie mise au point par Béatriz Padovan, dans la lignée de Rudolf Steiner qui considérait les trois aptitudes MARCHER, PARLER et PENSER comme interdépendantes.

Beaucoup d’écrivains et de scientifiques marchaient : Darwin, Rousseau, Kant, Nietzsche, Thoreau, Hobbes et bien sûr Rimbaud.

Pascal Picq cite également une étude de Stanford selon laquelle les personnes qui reviennent d’une marche ont 60% de créativité en plus.

 

La marche, symbole de liberté

Jaques-Alain Lachant souligne que toutes les oppressions, notamment sur les femmes, concernent la marche. A titre d’exemple : les pieds bandés des chinoises. La marche est symbole de liberté. Citons pour notre part la marche du sel de Gandhi. Nul doute que d’autres marches pour la liberté vous viendront à l’esprit.

Gandhi pendant la Marche du Sel, 1930

Gandhi pendant la Marche du Sel, 1930

Pour Jacques-Alain Lachant, « les pieds sont au cœur de notre rapport au monde et à la société. »

 

La marche en danger

Depuis l’invention de l’agriculture et la sédentarisation, notre masse osseuse, notre masse musculaire et même la taille de notre cerveau ont considérablement diminué, soutient Pascal Picq.

La sédentarité actuelle peut être considérée comme une sérieuse menace pour notre espèce. L’adoption d’une posture assise face à un écran l’essentiel de la journée est néfaste pour notre santé, notre moral et notre créativité. L’utilisation permanente de téléphones portables, véritable enfermement, conduit à une perte de contact avec l’environnement, alors que celui-ci constitue un enrichissement cognitif. L’inactivité physique conduit à une inactivité et donc un appauvrissement intellectuel. Le corps adopte des malpositions et rouille. Même les examens médicaux sont fait allongés ; trop rares sont les examens du corps en mouvement.

Or bien marcher permet d’éviter les pathologies du pied et de la cheville. C’est aussi prévenir les chutes chez les plus âgées, les chutes domestiques entrainant 450.000 passages par les urgences par an et même 10.000 décès. Marcher, on s’en doute, améliore la condition cardio-vasculaire et respiratoire. La marche prévient les risques de diabète, soigne les dépressions chroniques, l’arthrose du genou et de la hanche et surprise : selon Jacques-Alain Lachant, elle prévient même les récidives de cancer du sein. Et des désordres dentaires peuvent venir d’un mauvais pied. Tout est lié.

Marcher pieds nus ou en leguano contribue à une meilleure motricité et à éviter les chutes

Marcher pieds nus ou en leguano contribue à une meilleure motricité et à éviter les chutes

 

Quelles chaussures adopter pour marcher?

Pour Jacques-Alain Lachant, le drame de notre société est d’avoir inventé les chaussures ! Il souligne que notre motricité change lorsque nos pieds sont en chaussures, que le pied se réduit à 10% du travail qu’il a nu, que nous sommes contraints à talonner sans en prendre conscience ! La marche pieds nus, recommandée, est fluide et légère. Partant du pied vers la tête, elle a un effet sur la verticalité et la motricité du corps. Elle procure une sensation de sécurité, une présence, un ancrage qui sont anti-dépresseurs.

A propos des semelles orthopédiques, Jacques-Alain Lachant regrette qu’elles soient le plus souvent symétriques alors que le corps et les pieds ne le sont généralement pas. Les deux invités s’accordent à dire que les semelles orthopédiques ne proposent pas de stimulation dynamique du pied et ne contribuent donc aucunement au développement de la marche et du pied. Plutôt que de mettre un artifice, il est bon de pratiquer une réhabilitation fonctionnelle. Rappelons à cette occasion que les leguano ne sont aucunement destinées à être portées avec des semelles orthopédiques. Leur objet est de marcher comme pieds nus et de reconstruire petit à petit ce pied qui s’est effondré, déformé dans des chaussures rigides. D’autres spécialistes considèrent, comme l’indique l’un des ouvrages de cet autre ostéopathe Frédéric Brigaud dont nous aurons certainement l’occasion de reparler sur ce blog, que l’on peut « corriger le pied sans semelle ».

Le seul bémol de cette émission est que visiblement Jacques-Alain Lachant ne connaît pas encore les leguano mais uniquement une certaine marque à orteils séparés. Mais le débat ne doit pas être à ce niveau : il est certain que pour le bienfait de l’humanité, un maximum de personnes devraient retrouver les sensations de la marche pieds-nus et nos deux marques y contribuent.

 

Quelle distance marcher ?

Jacques-Alain Lachant recommande de faire 10.000 pas par jour, soit 1h30 à 2h de marche ou encore 3 à 5 kilomètres. Sans porter de courses ni charges qui modifient notre posture. Idéalement hors de la ville. En consacrant tout son corps à la flânerie, à la rêverie, en occupant l’espace. Vous le faites ? Avec notre mode de vie voiture + ordinateur + voiture + dodo, la plupart d’entre nous en sont malheureusement bien loin.

Voilà qui donne envie de se plonger dans les ouvrages de Pascal Picq et Jacques-Alain Lachant et de chausser ses leguano pour aller prendre l’air et sentir son rapport avec le sol et son environnement.

Marcher pieds nus

 

Pascal Picq est l’auteur de La marche : Sauvez le nomade qui est en nous, aux Éditions Autrement et Jacques-Alain Lachant, celui de Bien marcher, ça s’apprend !, aux Éditions Payot Santé.

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